
Il est bien loin le temps ou le poète Leopold Sedar Senghor célébrait la beauté féminine africaine, dans le poème « Femme nue, Femme noire », paru dans le recueil Chants d’Ombre en 1945 :
« Femme nue, femme noire
Vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté »…
Cet éloge de la féminité africaine s’étendait à tout l’univers :
« Gazelle aux attaches célestes
Les perles sont étoiles sur la nuit de ta peau. »
Il est loin aussi le temps où la Négritude en littérature s’affirmait comme un combat esthétique pour combattre la vision coloniale du monde, qui faisait du « noir » une couleur historiquement condamnée à la servitude. Cette vision fut aussi utilisée par le régime de l’Apartheid en Afrique du Sud. Etrangement, à partir de la première décennie des Indépendances, le blanchiment de la peau devint progressivement une mode. Cette mode, venue de l’Afrique anglophone s’est répandue dans la plupart des grandes villes africaines.
La tendance au blanchiment
Je suis dans le tram, je note malgré moi que ma voisine, à la peau claire, a des reflets bien sombres au niveau des ongles et un peu sur le front, près de l’implantation des cheveux… Il en est de même au niveau des pieds car elle porte des sandales… Ces inégalités de coloration de la peau trahissent un usage de la dépigmentation. La tendance à la dépigmentation de la peau noire est déjà visible dans tout le continent africain et elle a des noms qui changent suivant les pays : akonti au Togo, bojou au Bénin, décapage au Cameroun, dorot au Niger. Le phénomène est important aussi dans au Gabon (Kopakola ) et dans les deux Congos (kobwakana). Mais on peut le constater partout dans les milieux urbains au pays de Senghor, où il prend le nom de Xesel. Il est loin aussi le temps du slogan « black is beautiful ».
Un phénomène majoritairement féminin mais pas que…
Sur le continent africain, le phénomène semble frapper majoritairement les femmes entre la vingtaine et la soixantaine. Suivant les pays, il peut concerner entre un tiers et la moitié des femmes de milieu urbain mais il atteint aussi les hommes. La peau plus claire confère soi-disant une séduction plus attractive. Même si cette idée n’est pas ouvertement diffusée, elle infuse lentement dans beaucoup de sociétés africaines. Elle est véhiculée dans des supports de diffusion qui exercent une grande influence sur un public de consommateurs de produits de beauté. Il s’agit notamment de la publicité, des séries télévisées, des videoclips. L’impact de la représentation produite par les supports cités ici est dévastateur, puisqu’elle associe une image de réussite esthétique et sociale à la clarté de la peau. Les hommes sont souvent désignés comme les coupables de cette tendance au blanchiment car on les soupçonne de préférer les peaux « plus claires »…
S’éclaircir à quel prix ?
Les inconvénients du blanchiment sont nombreux car éclaircir la peau consiste à réduire la quantité de mélanine protectrice de la peau. Cela déclenche de nombreuses maladies qui affectent l’épiderme. La dépigmentation s’obtient par l’usage de produits qui bloquent la création de la mélanine nécessaire à la coloration noire de la peau. Beaucoup de ces produits sont dangereux : l’hydroquinone, le mercure, la cortisone, les corticoïdes. Plus ils sont efficaces (action rapide), plus ils ont dangereux pour la peau, en raison de leur plus fort degré de concentration. En plus d’une plus grande fragilisation de la peau, ils peuvent également provoquer des cancers de la peau. Quant aux prix pratiqués, ils peuvent varier de 10 000 Francs CFA à des injections proposées sous forme de traitements, pour plusieurs centaines de milliers de Francs CFA. Certains pays ont commencé à combattre ce phénomène de la dépigmentation, notamment le Rwanda de Paul Kagamé, le Kenya, le Ghana et le Sénégal.
Source : Rafaêl LUCAS KDMédia
