
La Rencontre consacrée à la Re-fondation des relations Europe-Afrique, pendant l’édition parisienne des Gingembres littéraires (7 avril 2023) initiés par Gorgui Wade Ndoye, donna lieu à des débats animés mais sereins. Comme un archéologue qui met à nu plusieurs couches de construction accumulées au cours de l’Histoire, l’écrivain camerounais Eugène Ebodé, remontant à travers les différentes phases du discours colonial sur l’Afrique, a mis en évidence la longue sédimentation des visions coloniales négatives sur l’Afrique.

Au coeur des ténèbres
Sans aller jusqu’aux lointaines « racines du mal », il cite le grand philosophe G. W. Friedrich Hegel, dont les préjugés raciaux s’expriment sans la moindre retenue dans un recueil d’articles intitulé La Raison dans l’Histoire (publication posthume, 1837,Coll. 10-18). Nous avons relu le court chapitre consacré par l’illustre penseur au continent africain. Les condamnations du philosophe de l’idéalisme sont plutôt simplistes et accablantes : » Pour tout le temps pendant lequel il nous est donné d’observer l’homme africain, nous le voyons dans l’état de sauvagerie et de barbarie, et aujourd’hui encore il est resté tel. Le nègre représente l’homme naturel dans toute sa barbarie et son absence de discipline. »

Ebodé mentionne aussi l’excellent roman Au coeur des ténèbres (1899) de l’écrivain britannique d’origine polonaise, Joseph Conrad, qui raconte une véritable remontée aux enfers, à travers le fleuve Congo, d’une Afrique « sauvage » qui va déciviliser le chef de poste Kurz, condamné à la déchéance au coeur de la forêt équatoriale. L’écrivain rappelle, sans s’y attarder, le discours de Dakar de Nicolas Sarkozy du 26 juillet 2007. Le président y affirmait qu’en Afrique « il n’y a de place ni pour l’aventure humaine ni pour l’idée de progrès. » L’image des ténèbres ou de l’obscurantisme appelle celle des lumières civilisatrices.
Un contrat post-racial
Après avoir dénoncé puis déminé les préjugés raciaux sédimentés sur une longue durée, Eugène Ebodé plaide pour une dépollution de l’imaginaire colonial. Il recommande aussi un « panafricanisme rénové ». Pour construire de nouveaux rapports euro-africains, il propose un nouveau « contrat post-racial » assorti à trois conditions : une politique de « réparations », un « esprit d’égalité » pour effacer toute une tradition de relations asymétriques et, pour finir, une « clause de revoyure ». L’écrivain insiste par ailleurs sur la restitution de très nombreuses oeuvres d’art africain qui finissent, en Europe et en Amérique du Nord, dans les galeries d’art, les musées ou chez les collectionneurs. Il envisage la re-fondation des relations euro-africaines sous l’angle d’une lucidité égalitaire et apaisée.
Rafael Lucas, Kaddu Diaspora Média
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