
Eugène Ebodé est un écrivain camerounais, titulaire de plusieurs prix littéraires, enseignant universitaire, journaliste et philosophe. Kaddu Diaspora Média l’a rencontré le 07 avril 2023, au siège du Monde Diplomatique, à la première édition parisienne des Gingembres littéraires initiés par Gorgui Wade N’Doye. KDM l’a interrogé sur son regard à propos du déroulement de la journée Europe/Afrique, sur le concept de Diaspora, et sur le rôle de la littérature dans la circulation des Arts et des idées
Kaddu Diaspora Média : Si je vous demande de mettre un qualificatif sur les tables rondes vous diriez quoi
La question qui est posée nécessite évidemment qu’on puisse y répondre en étant dynamique, en étant offensif, en étant aussi conscient que ces jours-ci, en ce moment même se joue une partie délicate, entre ceux qui peuvent être tellement prisonniers du passé, qu’ils n’ont pas envie d’aller vers l’avenir, et ceux qui pensent que l’avenir est assez inquiétant et qu’il vaut mieux faire du sur place.
Donc il y a une stimulation qui est à l’ordre du jour à travers la question sur la refondation des liens entre Europe Afrique moi je dirais entre Afrique et le reste du monde parce que le monde est multipolaire et qu’il n’y a pas une relation uniquement entre l’Afrique et l’Europe. Les autres se diraient « et nous alors ». Eh bien nous pensons aux autres qui sont après tout aussi des enfants en de l’Afrique, puisque l’être humain est né en Afrique et que l’Afrique c’est le berceau le berceau de tout le monde il faut donc que l’Afrique puisse parler à tous ses enfants. Les enfants des africains sont partout dans le monde.
KDM : Quelle analyse portez-vous sur la diaspora dans sa composante ?
La notion de diaspora, telle qu’elle est diffusée rappelle qu’il y a bien la reconnaissance d’une tragédie qu’il faut avoir à l’esprit. Quand on évoque le mot diaspora, ça veut dire des parties de soi-même qui se retrouvent en exil ou dans des territoires très éloignés de la terre originelle. Il y a donc d’abord une forme de mélancolie que l’on peut avoir quand on pense à la diaspora. Il faut penser aussi à ces membres qui se disent « mais cette Afrique-là, elle nous a laissé partir sans essuyer une larme avec de la dureté au cœur et parfois avec la complicité et la trahison ».
Donc il faut penser à ses blessures qui restent encore vives et tenter de les dépasser en convoquant le souvenir de ce qu’on peut partager ou de ce qu’on a encore à partager, de ce qui reste inscrit dans la mémoire de ceux qui sont partis. De l’autre côté des mers, ils ont maintenu des langues comme en Haïti où on parle en créole mais c’est un créole avec des accents africains et Haïti d’ailleurs a dû lutter pour rester sur Haïti. C’est l’une des premières républiques indépendantes et noires fondée en 1804. Mais il lui est arrivé une calamité car, après avoir arraché sa liberté, Haïti a été pénalisé, puni par les amendes indues à payer à la France. Pour ma part, j’estime qu’il faut une reconnaissance de ces prélèvements obligatoires qui n’étaient pas si obligatoires que ça. Il faut donc une restitution de ce qui a été indument prélevé. Ce serait une bonne politique que des réparations soient à l’ordre du jour, lorsqu’il y a eu un abus. Ensuite il faut aussi dire à l’Afrique qu’elle est un continent et ce continent, bien qu’il ait des ramifications à l’extérieur, a aussi des responsabilités à l’intérieur. C’est pour cela que je pense qu’il faut réfléchir de manière systémique. C’est un système qui a exploité l’Afrique qui l’a dévoré presqu’en entier. S’il a survécu, c’est aussi parce qu’il y a eu des antidotes, des cultures, des dynamiques il y a eu des imaginaires féconds.
KDM : Vous avez parlé de littérature, quel est son impact dans la circulation des idées ?
La littérature africaine démontre, par-delà les difficultés, que l’Afrique créatrice est restée debout. Non seulement en diversifiant son offre culturelle mais aussi en exportant. Le paradoxe, c’est que l’Afrique exporte davantage son offre culturelle qu’elle ne l’utilise elle-même. Aujourd’hui donc, il faut dire ici que refonder des liens c’est féconder une nouvelle Afrique, qui serait plus consciente et confiante en elle-même. Au-delà des fractures que nous pouvons constater, il faut garder à l’esprit cette générosité qui fait d’elle précisément un continent assez particulier, parce que c’est le continent des origines.
Il ne doit pas perdre le Nord si je puis dire parce que il sait qu’il est à la fois le Nord et le Sud, qu’il est resté l’Ouest qu’il est à l’origine qu’il est la synthèse, qu’il est le point de départ et il doit être aussi le point d’ouverture au monde
Propos recueillis par Rafael Lucas, Moussa Diop – Kaddu Diaspora Média
