
Dans le cadre des Journées de la Mémoire de l’esclavage à Bordeaux, le Ghana, pays invité, était présent au Musée d’Aquitaine (jeudi 11 mai, 18 h-20 h), sous forme de courts métrages sur les vestiges architecturaux ghanéens hérités de la traite négrière. Les courts métrages projetés au Musée étaient au nombre de trois : Le Fort de Christianborg, Le Fort de Richter, Le Pensionnat religieux d’Osu Salem. Les films ont été réalisés avec la collaboration de Juan Gelas, co-réalisateur des Routes de l’esclavage, 2018, avec Daniel Cattier et Fanny Glissant.
Kaddu Diaspora Média était présent lors de cette rencontre. Pour cette brève entrevue, l’accueil et le contact avec M. Wellington nous ont été facilités par M. Yoann Lopez, Chargé de Mission pour la Politique Mémorielle et la Lutte contre le Racisme à la Mairie de Bordeaux. La traduction a été très aimablement assurée par Juan Gelas.
Nous avons peu de références sur le Ghana, ce pays atlantique anglophone de 240 000 km2 entouré de trois pays francophones (le Burkina Faso au Nord, le Togo à l’est et la Côte d’Ivoire à l’ouest). Si nous cherchons des images sur ce pays, nous pourrions voir défiler, comme dans un clip video, la grande figure du Panafricanisme, Kwame Nkrumah, le premier chef d’Etat du pays, qui avait choisi à l’indépendance le nom de Ghana pour remplacer les noms coloniaux de Côte d’Or (Gold Coast) ou celui de Côte des Esclaves associé au Bénin et au Togo. L’ancien Empire sahélien de Ghana (lV°-XI°siècle), de prestigieuse mémoire, englobait une grande partie de la Mauritanie, du Mali et du Sénégal. Nous verrions aussi apparaître l’étoile noire (black star) du drapeau, inspirée par le militant panafricaniste jamaïcain Marcus Garvey, dans les années 1920, créateur d’une compagnie maritime destinée à ramener les Noirs jamaïcains en Afrique, la Black Star Lines. Nous verrions défiler la sélection nationale de foot, car le Ghana est aussi un grand pays de football, souvent surnommé « le Brésil de l’Afrique », plusieurs fois finaliste à la Coupe d’Afrique des Nations. Nous verrions défiler les chiffres du deuxième producteur mondial de cacao et le mythique siège d’or du grand roi des Ashanti.
La ruée vers les esclaves
C’est vers la fin du XV° siècle, 1471, que l’arrivée des Portugais, en pleine expansion maritime et coloniale, va précipiter le Ghana dans l’enfer de l’engrenage négrier atlantique du commerce triangulaire. La présence portugaise au fort de El Mina sur la côte du Ghana, à l’instar des esclaveries de Gorée au Sénégal ou de celles de l’ancien Dahomey (devenu le Bénin), attirera d’autres convoitises européennes : la Hollande, le Danemark, la Suède et surtout l’Angleterre.

Concernant la traite négrière danoise au Ghana, nous recommandons la lecture du livre du Danois Thorkild Hansen, La Côte des Esclaves, Ed. Actes Sud, 1993, un roman fort bien documenté.
Muet comme une pierre ? Pas si sûr. Au cours de son travail de cinéma documentaire, avec la complicité du Français Juan Gelas, le professeur ghanéen Nii Adziri Wellington, architecte passionné par l’Histoire, a produit, comme nous l’avons dit précédemment, trois courts-métrages consacrés aux vieilles pierres des constructions datant de l’époque coloniale : Le Fort de Christianborg, Le Fort de Richter, Le Pensionnat religieux.
Les confidences des pierres
L’opération est parrainée par la Fondation HACSA (Heritage And Cultural Society of Africa), enregistrée au Ghana et aux Etats-Unis. La Fondation HACSA était représentée par Natasha Gordon. Nii Adziri Wellington est intervenu à propos de son livre Stones Tell Stories at Osu : Memories of a Host Community of the Danish Trans-Atlantic Slave Trade. Dans cet ouvrage (Les pierres parlent à Osu), Adziri Wellington adopte une approche qui diffère des méthodes académiques des historiens.

Il travaille sur les lieux et les pierres afin d’en extraire les différentes significations, comme pourrait le faire un archéologue qui fait parler les objets. Il aborde aussi les tabous qui entourent souvent la question de l’esclavage dans les pays qui ont eu une grande importance dans le commerce des esclaves. L’idée lui est venue à partir d’un projet danois de recherches sur l’architecture coloniale liée à l’esclavage.
Un bref entretien avec Kaddu Media Diaspora
Kaddu Media Diaspora : Comment vous est venue l’idée de ces recherches ?
Adziri Wellington : Je m’intéresse beaucoup, en fait passionnément à l’histoire de mon pays. Puis j’ai été intéressé par les travaux d’un chercheur danois sur l’architecture coloniale à l’époque de l’esclavage. Ses découvertes de certains lieux historiques m’ont interpelé. Que nous disent les lieux ? D’où le titre de mon livre Stones tell Stories at Osu (Les pierres racontent des histoires à Osu). Nous avons bénéficié aussi de la collaboration de la Fondation HACSA qui s’intéresse au patrimoine culturel des sociétés africaines. Nous avons obtenu également le soutien de l’Ambassade de France à Accra.
KDM : Comment avez-vous rencontré Juan Gelas ?
Adziri Wellington : Nous avons les mêmes centres d’intérêt. Je connaissais aussi son travail important comme co-réalisateur de La Route de l’esclavage. Nous avons travaillé dans le contexte difficile du COVID. Nos rapports sont excellents et nous sommes fiers du résultat.
KDM : Quel a été l’impact de ces siècles de traite négrière au Ghana ?
Adziri Wellington : C’est une question très complexe, il me faudrait un peu de temps pour y répondre. Cependant je peux dire que l’effet a été très négatif dans la durée car pendant des siècles cette traite qui a essentiellement pris des hommes jeunes a privé le pays de son avenir. Ce souvenir a eu un impact sur l’idée panafricaine chez nous. Ce n’est pas un hasard si Kwame Nkrumah l’une des grandes figures du Panafricanisme est ghanéen. Néanmoins la question de l’esclavage reste encore délicate chez mais j’estime qu’il faut l’aborder franchement.
KDM : Kaddu Diaspora Media vous remercie.
Interview réalisée par Moussa Diop, Rafael Lucas, Kaddu diaspora Média (kdmédia)
