Cette excursion mémorielle du samedi 13 mai 2023 à Lectoure (Gers), devenue annuelle, est le résultat d’une co-organisation de l’Union des Travailleurs Sénégalais de France (l’UTSF), section Gironde, et de la Mairie de Lectoure, afin de rendre hommage aux Tirailleurs africains enterrés dans le carré militaire du cimetière de cette ville. L’UTSF avait préparé cette rencontre. Kaddu Diaspora Media était du voyage.
Acte 1

Une excursion pas comme les autres
Départ à 8h 30 au parking du Carrefour de Lormont. Le bus de 60 places est quasiment rempli, toutes générations confondues. Les membres de l’association ont à coeur d’être présents à cette journée qui n’est pas une simple sortie en groupe mais un rendez-vous avec un moment d’Histoire important pour la présence africaine sur les terrains des guerres mondiales en Europe. Le choix de Lectoure n’est pas une fantaisie car c’est l’une des rares villes de France qui a consacré un espace particulier aux Tirailleurs africains décédés pendant la Première Guerre (carré militaire au cimetière) ainsi qu’une place de la ville, nommée le « Rond-Point du 141e Bataillon des Tirailleurs Sénégalais (inaugurée le 10 septembre 2022).
Ce voyage a mis en évidence le souci de transmission mémorielle partagé par l’UTSF et Kaddu Diaspora Media, quand deux jeunes filles ont réalisé une interview à chaud dans le bus. Sur le chemin de Lectoure deux jeunes filles, Zeina Mbengue et Binta ont interrogé les personnes présentes pour avoir leur ressenti et leur opinion sur cette excursion pas comme les autres. On pourra écouter écouter ces interviews sur les sites de l’UTSF et de Kaddu Diaspora Media. Baptême de feu réussi pour les deux jeunes reportrices.

Acte 2
L’arrivée en Lomagne et l’intensité des échanges
Le bus qui a quitté l’autoroute s’approche peu à peu de Lectoure. Le paysage change à vue d’oeil montrant le charme de la Lomagne, cette verte région parsemée de parcelles agricoles au nord-est de la Gascogne, répartie entre le Gers et le Tarn-et-Garonne. Des damiers de champs labourés et de terres céréalières alternent avec des espaces de cultures variées et des crêtes boisées, dans un paysage verdoyant et vallonné, où les nombreuses collines arrondies offrent un retour incessant de vagues de verdure. Juste avant d’arriver à Lectoure, la Mairie a prévu une voiture de Police Municipale qui guide le bus vers le carré militaire du cimetière. Cette attention est très appréciée.
Au cimetière : faire revivre la mémoire des soldats morts, entre reconnaissance et vérités
Au cimetière : faire revivre la mémoire des soldats morts, entre reconnaissance et vérités. Séquence émouvante dans le cimetière : la délégation africaine, les Anciens Combattants et les autorités des collectivités locales sont réunis dans ce moment où le mot commémoration retrouve tout son sens : se souvenir ensemble. Dans une luminosité aux tons grisaille, les anciens combattants médaillés sont très concentrés, les enfants venus avec l’UTSF agitent des petits drapeaux français et sénégalais, les sonneries militaires résonnent dans l’ambiance de recueillement.
La présence des enfants est une promesse rafraichissante de la continuité de cette commémoration. Le consul du Sénégal tardivement prévenu n’a pas pu être présent mais le Maire le saluera chaleureusement dans son allocution.
L’émotion ne retient pas la vérité

Cependant l’émotion ne retient pas la vérité. Dans son discours, Dame Gadji, le président de l’UTSF, après avoir évoqué le partenariat entre l’association et la mairie de Lectoure, énonce quelques vérités à propos des combattants africains des deux Guerres mondiales. Il rappelle les péripéties choquantes de l’histoire des Tirailleurs en France, en utilisant une métaphore mathématique : » une équation à plusieurs inconnues devenant parfois une quadrature du cercle ». Un heureux dénouement, souligne-t-il, bien tardif néanmoins, pour cette situation puisqu’une délégation d’une dizaine de Tirailleurs sénégalais âgés de 85 à 95 ans a été reçue à l’Elysée puis est partie à Dakar le 23 avril où ils ont été accueillis avec les honneurs y compris par le Président de la République du Sénégal. Plus longuement il revient sur les aspects préoccupants : l’importante contribution africaine aux sacrifices causés par les deux Guerres Mondiales, le non-paiement de leurs pensions ainsi que « le silence pesant et incompréhensible » à propos de l’héroïsme des Tirailleurs dans les manuels d’Histoire en France.
» Mieux vaut tard que jamais »
Sur le plan économique Dame Gadji rappelle la discrimination et l’injustice concernant les pensions. Discrimination car « un ancien combattant français perçoit une pension 5 à 6 fois plus élevée que son homologue africain ». Pour ce qui est de l’injustice, Dame Gadji, comme antérieurement Malick Ndaw, ex-président de l’UTSF, signale le choix gouvernemental de « cristallisation » des sommes dues aux Tirailleurs, « pendant plus de 60 ans… » Et un plafonnement à 950 euros d’une allocation de solidarité aux personnes âgées. Constatant qu’un « oubli manifeste » recouvre cette mémoire « en Afrique comme dans le reste du monde », Dame Gadji reconnaît toute fois l’effort tardif qui a été fait : » Mieux vaut tard que jamais » conclut-il.

Esprit d’apaisement

Dans son discours, M. Xavier Ballenghien, le maire de Lectoure (depuis 2021) reconnaît l’apport des Tirailleurs africains au combat contre le nazisme pendant les deux guerres mondiales et l’importance de leur sacrifice pour le maintien de l’idéal républicain de liberté et d’égalité. C’est avec un esprit d’apaisement, dû à cet échange de vérités, que les délégations présentes ont partagé un repas convivial africain dans les locaux de la Halle aux Grains qui date de 1846.
Du poulet Yassa aux Tirailleurs
Après le repas sénégalais composé de pastels, de poulet yassa aux oignons et agrémenté d’un bissap violacé à la fraîcheur sucrée, l’assistance s’est rendue au cinéma pour voir le film Tirailleurs, (Mathieu Vadepied, 2022). Il est néanmoins dommage que, compte tenu de la gestion du temps disponible, la durée du film (deux heures n’ait pas laissé de la marge pour un débat qui aurait permis de recevoir un point du vue croisé.

À ce propos, M. Moussa Diop de Kaddu Media Diaspora a fait deux remarques. La première concerne l’absence d’enfants ou d’élèves des écoles de Lectoure au cours de cet événement, alors que la délégation de l’UTSF comprenait des enfants qui avaient brandi côte à côte des drapeaux sénégalais et français. La seconde observation concerne le choix et le temps pris par le film, dont la longue durée ne laissait pas d’espace à un échange instructif.
Acte 3
Le chemin du retour
Le soleil est déjà revenu quand le bus reprend le chemin du retour. L’émotion est encore présente dans l’air. Plusieurs personnes ont exprimé leur ressenti de l’événement de Lectoure. Les opinions ont porté sur les différentes phases de la journée, les arrière-plans historiques de l’emploi des Tirailleurs africains. Puis, divine surprise pour agrémenter le retour, le chanteur sénégalais Libasse Niang entame un tour d’improvisation, comme un griot moderne. Libasse Niang auteur du succès Coowli (discussions) de 2003 est installé en France depuis 2007. C’est sous l’effet de la décontraction et de l’enchantement de cette surprise que le bus revient au parking du Carrefour de Lormont, d’où les passagers repartent
Reportage sur la commémoration
