
Samedi 30 novembre et dimanche 1er décembre 2024, la salle Simone Signoret de Cenon accueillait le 80 ème anniversaire du massacre de Tirailleurs sénégalais, à Thiaroye, dans la banlieue de Dakar. Les deux jours de cérémonie, portés par l’Union des travailleurs Sénégalais en France et co-organisées par plus d’une dizaine d’associations africaines, étaient segmentés par plusieurs temps forts riches en émotions et en découvertes sur l’histoire des tirailleurs : prises de parole, projection de films, lectures théâtralisées, témoignages de protagonistes du film et interventions de personnalités qualifiées, exposition sonore et visuelle, dépôt de gerbes. Le clap de fin de ces journées est ponctué par un goûter convivial autour duquel la centaine de participants a poursuivi les échanges.
Si la patrie française a été peu reconnaissante de l’histoire tragique des tirailleurs sénégalais, l’arrivée au Sénégal d’un nouvel exécutif a jeté dans la marre de cette tragédie un nouveau filet de pêche pour y en ressortir des faits toujours pas encore non-élucidés. Mais en attendant de connaître toute la vérité l’Union des Travailleurs Sénégalais en France est depuis de nombreuses années aux avant-postes pour commémorer la mémoire des tirailleurs sur les terres de la région Nouvelle-Aquitaine. Notamment à La Teste-de-Buch, à la Nécropole du Natus à Cazaux en Gironde, puis à Lectoure dans le Gers. Ce travail lui a conféré une reconnaissance de l’Etat sénégalais qui l’a retenue comme membre du comité de pilotage mis en place lors du Conseil de Ministres du 06 juin 2024. Rassembler des preuves, des témoignages et des documents pour comprendre pleinement les événements tragiques de Thiaroye sont entre autre ses objectifs. Ce comité a pour mission de proposer des actions qui honoreront la mémoire des victimes et sensibilisera les générations futures.
Ouverture de la cérémonie : entre solennité et émotion
Mar Fall, après être invité à monter sur la scène de l’espace Simone Signoret, par Philippe Salomon maître de cérémonie, a expliqué la pertinence de l’engagement de l’UTSF en organisant, pleinement, à Cenon, le 80ème anniversaire du massacre de Tirailleurs sénégalais. Les cérémonies commémoratives inscrites annuellement sur son agenda lui confèrent une légitimité « naturelle ».
Aminata, porte-parole du jour des membres du bureau et secrétaire de l’association a chaleureusement souhaité la bienvenue au public, aux associations partenaires et aux autorités, avant de mettre le curseur de son discours sur l’importance de la cérémonie, qui, dit-elle, est l’aboutissement d’un long processus sur le travail du devoir de mémoire des tirailleurs sénégalais dont les sépultures sont sur les terres Girondines.

de la gauche à la droite : Omar, Fatima, Aminata et Rose
Le consul général du Sénégal était représenté par Aboubacar Sylla, deuxième secrétaire du consul. Il a transmis son message de soutien et de félicitation à l’Utsf, pour avoir contribué à écrire, avec les nouvelles autorités sénégalaises, une nouvelle page sur ce qui s’est réellement passé dans la nuit du 30 novembre au 1er décembre 1944 dans le camp de Thiaroye, à Dakar. Et le jour où cette histoire va retrouver une place dans les manuels pédagogiques au Sénégal, l’UTSF pourrait en être fier car elle a toujours soutenu une approche pédagogique. Les enfants et les jeunes issus de parents immigrés ont toujours été associés aux voyages commémoratives qu’elle organise.

Laïla Merjoui, Sèye Sène et Urized Günder, toutes trois élues en charge respectivement de la Culture, des Jumelages, du pacte d’amitié et de la Démocratie, Citoyenneté, ont manifesté leur enchantement sur le choix que l’UTSF a fait pour venir célébrer le 80 ème anniversaire du massacre de tirailleurs sénégalais à Cenon. Elles ont ensuite transmis le message de soutien et d’encouragement du Maire, Jean-François Egron.
« Visage »panafricain de la cérémonie
L’UTSF a voulu donner à la cérémonie un visage panafricain en y associant plus d’une dizaine d’association africaine à son organisation. Soulignons que les responsables ou les représentants des associations telles que Migration Culturelle Afrique Aquitaine (MC2A), Mouvement Burkinabé des Droits de l’Homme et des Peuples (MBDHP), Association Panafricaine d’Aquitaine (APA), COSIM Nouvelle Aquitaine, Association des femmes congolaises de Gironde (AFG), Association des femmes ivoiriennes de Gironde (AFIG), Union des ressortissants et sympathisants de guinée en Aquitaine (URSGA), Association des Maliens en Aquitaine (AMA), association AKWABA des ivoiriens de Gironde, association Togolaise Nouvelle Aquitaine (ATNA), association Aide SABOU pour le Bénin, Association des Burkinabés d’Aquitaine (LABA), association Le Plaisir de s’entraider et le Centre d’insertion sociale et économique (CISE) ont pris part à la cérémonie.

Les partenaires ont pris la parole à tour de rôle pour présenter leur structure et aussi expliquer ce qui les a motivés à participer à la co-organisation de la cérémonie. Une cérémonie qui fait éclore toute sa splendeur panafricaine.
Mise en voix de lettres de tirailleurs chez Simone Signoret
Qui aurait pensé que l’espace culturel qui porte le nom de Simone Signoret, célèbre actrice et écrivaine française, aurait abrité la cérémonie du 80ème anniversaire de tirailleurs sénégalais massacrés le 30 novembre 1944 à Dakar ? Cette date correspond à celle de sa mort en 1985 à Autheuil-Authouillet, dans L’Eure. Et pourtant l’UTSF l’a fait en y programmant une lecture musicale des lettres de tirailleurs rédigées avant, pendant et après la guerre.

Francois Chicaïa, artiste comédien a, avec Oumou Baldé, Inès Gidouni et Dafra Bihoun (musicien) ont mis en voix et psalmodié les récits polyphoniques qui racontent les témoignages épistolaires des tirailleurs. « Par la vérité de Dieu, les jours d’attaque sur le champ de bataille, nous étions coude à coude, épaule contre épaule. Nous courions en hurlant vers les ennemis d’en face au même rythme » écrit un tirailleur anonyme.

Après sa performance, François Chicaïa a évoqué sa satisfaction d’avoir contribué à étendre un Pont entre la mémoire vivante et les générations futures sur la question des tirailleurs. «En tant qu’artiste et descendant de combattants africains pour la France, cette lecture musicale a été plus UNE MISSION, UN DEVOIR, au-delà de l’artistique » ajoute-t-il.
Exposition sonore et visuelle
Intitulée « Tirailleurs sénégalais de Lectoure », l’exposition, s’est déclinée sur 17 supports. Avant de transiter sur les fronts de guerre, les soldats africains débarquaient dans le camp militaire situé sur le versant sud de la ville de Lectoure. Le choix de ce lieu était justifié par la clémence de son climat qui correspondrait aux soldats. Malheureusement cela s’est déroulé autrement. Les jeunes soldats y ont confronté, durant l’hiver 1918-1919, un froid rude, la faim et les maladies. La conséquence : soixante-treize d’entre eux vont mourir et seront enterrés dans un cimetière au nord-ouest de la ville de Lectoure. Un cimetière où l’UTSF se rend tous les ans depuis les années 2000, pour leur mémoire.

Avec la collaboration du centre d’Art et de photographie de Lectoure, qui a mis à la disposition de l’UTSF un fonds d’archive de la ville sur le passage des tirailleurs. L’exposition s’est articulée en trois temps. Tout d’abord c’est le portrait de la marraine de guerre, Madeleine Lacapère, un tirailleur sénégalais prénommé « Mamadou » et une femme non identifiée (1918-1919) qui « ouvre » l’exposition. Puis un ensemble de plans des divers baraquements du camp militaire de Lectoure, dit Camp de la Tride, situé au versant sud de la ville en 1918 ; Les courriers adressés par la SBM (Société Secours Blessés Militaires) à Madeleine Lacapère le 2 août 1919 ;

Des cartes postales de la 4ème compagnie du 13ème bataillon des tirailleurs Malgaches venue en mai 1918 pour aider à la construction du camp militaire de Lectoure aux côtés de travailleurs venus d’Indochine et de soldats des troupes coloniales de l’Ouest de l’Afrique, de l’Hôpital-hospice la ville de Lectoure qui devient l’Hôpital bénévole au 54 bis où sont décédés de maladie quelques-uns des nombreux tirailleurs « sénégalais » de passage à Lectoure entre 1918 et 1919 ; Documents relatifs à l’entretien du monument aux morts et du carré militaire des tirailleurs sénégalais, situé dans le cimetière des Carmes et des avis de décès de cinq tirailleurs « sénégalais » sur les 73 inhumés à Lectoure).

Ensuite, le deuxième temps a porté sur les initiatives et des actions commémoratives de l’Union des Travailleurs Sénégalais en France. Cinq panneaux au format A4 ont mis en relief deux représentations théâtrales en 2003. Celles-ci sont inspirées des écrits du sociologue Mar Fall, intitulé « Martyrs oubliés, Tirailleurs en Campagne ». Grâce à l’engagement et l’implication des membres de la commission des jeunes, le succès des pièces de théâtre a débouché sur la production d’un film, en 2004, qui a gardé le même le même titre. Les anciens soldats qui ont fait la fierté de l’association lors des cérémonies commémoratives à La Teste de Buch et Lectoure sont mis en valeur. Les tous premiers articles du quotidien Sud-Ouest écrits sur le travail mémoriel a fermé l’exposition matérielle.

Enfin, l’exposition audiovisuelle, « construite » sur la base de la collecte de la mémoire orale d’anciens combattants sénégalais vivant à Bordeaux entre 2009 et 2011.

Pour rendre hommage aux femmes de tirailleurs compte tenu du rôle qu’elles ont joué dans la gestion du foyer durant des hommes, Soukeyna M’Baye, Arame Diagne, Nicole Dehayes et Dieynaba Sarr, quatre femmes engagées partagent leurs regards sur l’exposition qui leur est dédiée. Reportage
Rue des Faussets, la rue des Tirailleurs sénégalais

L’histoire de la rue des Faussets, située dans le quartier Saint Pierre à Bordeaux, n’est pas seulement celle qui a fait sa renommée grâce au peintre qui y avait un atelier et qui disait avoir trois passions, « la peinture, les filles, et le pistolet ». Il s’agit de Pierre Molinier né en 1900 et qui s’y est donné la mort en 1976. Ses tableaux présentent une tendance érotique . Et pourtant cette rue avait aussi une autre histoire. Selon le rapport du Commissariat Spécial de la Préfecture de Gironde, daté du 12 juin 1931, relatif aux navigateurs nègres du port de Bordeaux, d’anciens tirailleurs devenus marins et dockers dans un local, dénommé « chez Fodé Touré », situé dans la rue des Faussets.

Devant plus d’une cinquantaine de personnes Mar Fall a expliqué le sens du choix de l’UTSF pour y déposer une gerbe de fleurs car elle abritait un café parmi d’autres « Chez Fodé Touré » était un espace primaire de solidarité, de rassemblement et de rencontre où se tenaient également des débats autour de leurs conditions de vie « l’Union des Travailleurs Sénégalais en France a voulu témoigner, par ricochet, de la présence, depuis longtemps, de la Diaspora africaine à Bordeaux. C’est un lieu qui a vu passer Lamine Senghor, ancien tirailleur démobilisé, et fondateur du Comité de défense de la race noire. Après sa mort Tiemoko Garan Kouaté, figure emblématique dans le cercle des intellectuels noirs, a créé la Ligue de défense de la race Noire. Ils ont créé un syndicat qui a regroupé 300 marins et dokers» évoque Mar Fall.
La rue des Faussets, avec tout le travail de réflexion et de défense des tirailleurs démobilisés qui s’y menait chez Fodé Kaba, est le berceau d’un grand mouvement né dans l’entre-deux guerre : le Panafricanisme.

Après avoir remercié l’UTSF, le consul général du Sénégal à Bordeaux, Abdoulaye Diallo, a rappelé l’importance de la tournure sémantique sur les événements de Thiaroye. Passer du mot répression d’une rébellion à celui de massacre pour qualifier la tragédie est une évolution positive. Ce qui aura une portée sur l’ampleur du sort subi par les tirailleurs qui n’ont fait que réclamer leurs dus après s’être battus avec dévouement sur les opérations de guerre.

Quant à Laurent Guillemin, Adjoint au maire chargé du cycle et de l’économie de la ressource en eau et des relations avec les cultes, il a justifié la présence de la ville de Bordeaux aux côtés de l’UTSF car elle s’associe au travail mémoriel engagé par l’UTSF depuis des décennies. Le passé historique de la rue n’est pas dissociable de la présence des Africains présents dans la ville entre les deux guerres. Les trois délégations ont déposé à tour de rôle une gerbe de fleurs dans la rue.
L’ingéniosité créative a fait irruption dans le programme pour compenser la projection de film
L’ingéniosité créative a fait irruption dans le programme pour compenser la projection de film
Dans la situation où il fallait « meubler » le temps réservé à la diffusion du film « Martyrs oubliés, Tirailleurs en campagne » qui n’a pas eu lieu à cause d’un dysfonctionnement technique et de coordination, les maîtres de cérémonie ont stimulé leur créativité en proposant aux étudiants de l’Association Bordelaise des Etudiants Sénégalais et Sympathisants (ABESS), de lire des textes de Léopold Sedar Senghor. « Senghor est fait prisonnier par les Allemands le 20 juin 1940 à La Charité-sur-Loire. Plus tard, il racontera comment il faillit être exécuté en raison de sa couleur de peau, avec des tirailleurs, ne devant sa survie qu’à l’intervention d’un officier français qui en avait appelé à l’honneur militaire de son homologue allemand. Senghor est ensuite envoyé dans plusieurs camps temporaires avant d’être interné à Poitiers, où démarre le récit » dit Benoît Hopquin dans le quotidien Le Monde du 16 juin 2011.

L’épitaphe poétique de Senghor a fixé la première la mémoire du vécu atroce des tirailleurs sénégalais fusillés par les autorités militaire française dans la nuit du 30 novembre au 01 décembre 1944.
D’une voix haute Djibril N’Dour, Président de l’ABESS, accompagné de deux de ses acolytes étudiants, lance un mouvement symphonique : « Prisonniers noirs je dis bien prisonniers français, est-ce donc vrai que la France n’est plus la France ? Est-ce donc vrai que l’ennemi lui a dérobé son visage ? Est-ce donc vrai que la haine des banquiers a acheté ses bras d’acier ? Et votre sang n’a-t-il pas ablué la nation oublieuse de sa mission d’hier ? Extrait de la page de Léopold Sedar Senghor publiée le 01 mai 2014
Ce sont quelques-uns de ces récits que les étudiants se sont appropriés pour déclamer de façon improvisée sur la scène.
Ouvrir les archives pour une vérité partagée
Le cinéaste Dragoss a parlé de la nécessite urgente de mettre en place une réparation pour les descendants des tirailleurs sénégalais. Ouvrir les archives les concernant serait également une voie pour connaître la vérité sur le nombre exact de morts et des atrocités subies.
Stars dans le film, stars sur scène, 20 ans après
20 ans après la diffusion du film « Martyrs oubliés, Tirailleurs en campagne » la cérémonie du 80 ème anniversaire du massacre des tirailleurs sénégalais Bineta Sané et Mamadou N’Diaye, membres de la commission des jeunes en 2004, sont remontés sur la scène de Simone Signoret.

Devant un public attentif, ils ont fait entendre leur fierté pour avoir joué une partition de l’histoire des tirailleurs sénégalais et ceci malgré leur jeune âge. Ce qui leur a permis, par ricochet, d’apprendre plus sur le rôle et l’injustice vécue par leurs ascendants tirailleurs.

En parcourant l’exposition, Bineta s’est reconnue sur des photos de pièces de théâtre tournées en 2003. Le thème portait sur l’histoire des tirailleurs sénégalais. Emue, elle a partagé, avec ses enfants, ses sentiments et ses émotions ressentis sur une image qui la ramène 20 ans en arrière.
Auteur : Moussa Diop kaddudiaspomedia.com
