Quitter son pays, ses enfants, son travail pour étudier en Suisse est un choix courageux. Mais la réalité qui attend les étudiants étrangers, en particulier africains, est bien plus rude qu’on ne l’imagine. Voici un témoignage personnel, porteur d’une voix collective.

Entre espoir et réalité : chronique d’un étudiant africain en Suisse
Partir, c’est croire. C’est espérer qu’ailleurs, l’effort sera récompensé, que les sacrifices mèneront vers une vie meilleure. Mais derrière les photos d’arrivée souriantes et les récits d’opportunités, il y a une autre histoire : celle des nuits sans sommeil, des démarches complexes, du poids de l’absence, du regard de l’autre.
Depuis mon arrivée à Genève en septembre 2024, chaque jour est un test de résilience. Étudiant en droit, père de deux enfants restés au pays, ancien professionnel devenu étudiant à plein temps, je suis plongé dans une réalité bien plus rude que ce que j’avais imaginé.
Ce texte n’est pas une plainte. C’est un témoignage. Une mise en lumière des défis invisibles que vivent de nombreux étudiants étrangers, en particulier africains. C’est aussi un appel. Un appel à la compréhension, à l’humanité, à la responsabilité partagée : pour les jeunes qui rêvent de partir, pour les autorités qui encadrent leur séjour, pour les institutions qui les accueillent. Lire ce récit, c’est entendre une voix parmi tant d’autres. C’est comprendre que l’intégration ne se décrète pas. Elle se construit, dans la dignité.
Le départ : une décision lourde mais nécessaire
Il y a des décisions qui changent une vie. Décider de tout quitter : son pays, son emploi, sa stabilité, ses enfants, sa compagne, pour reprendre le chemin des études dans un pays lointain : ce n’est pas une aventure, c’est un arrachement. En septembre 2024, j’ai pris l’avion pour Genève avec une valise, des papiers, et une promesse faite à ma famille : revenir plus fort, mieux outillé, pour leur offrir un avenir différent.
Derrière ce choix, il y avait bien sûr l’ambition académique, le désir de progresser, mais surtout une forme d’urgence intérieure : celle de ne pas se résigner à l’immobilisme. Mon travail au pays me permettait de vivre, mais pas toujours de m’épanouir pleinement. Le départ n’était donc pas un caprice, mais un acte de responsabilité : pour moi, pour mes enfants, pour ma communauté.
Mais ce que l’on ne dit pas assez, c’est ce que ce départ coûte : les nuits blanches d’angoisse, les pleurs silencieux avant de franchir la porte, l’absence des bras d’un enfant le soir après les cours, la culpabilité sourde de ne pas être là pour aider au quotidien. Partir, c’est porter tout cela avec soi, chaque jour. Et pourtant, on part. Parce qu’on espère. Parce qu’on veut croire qu’au bout du chemin, les sacrifices auront un sens.

La découverte d’une réalité complexe
À cela s’ajoute l’obligation, dans un délai de trois mois, de souscrire à une assurance maladie auprès d’un assureur reconnu en Suisse. Le coût mensuel d’une assurance de base avoisine les 300 CHF, une somme difficilement supportable pour un étudiant sans revenu. L’obtention d’une dispense est possible, mais très encadrée et soumise à des conditions strictes, comme l’attestation d’une assurance étrangère équivalente.
Quant à l’accès à des aides financières, l’Université de Genève, comme d’autres universités Suisse, propose bien des aides ponctuelles via son service « Vie de campus », mais ces aides ne sont pas automatiques et restent limitées en durée comme en montant. Aucune garantie d’y accéder rapidement.
Sur le papier, les étudiants étrangers hors UE peuvent travailler jusqu’à 15 heures par semaine après six mois de résidence. Mais dans les faits, trouver un emploi est devenu quasiment impossible.
Récemment, l’OCPM a transmis une circulaire aux bureaux de placement, leur interdisant formellement de recruter des étudiants hors UE. Lorsque j’ai appris cette nouvelle, j’étais à la fois choqué et inquiet. J’ai décidé de me rendre personnellement au bureau de placement de l’aéroport de Genève pour vérifier cette information. L’agent sur place, visiblement peinée, m’a confirmé la situation : depuis la réception de cette directive, ils ont dû annuler les contrats de sept étudiants qui venaient tout juste de commencer leur travail. Elle m’a expliqué que cette mesure aurait été prise par l’OCPM en raison du non-respect, par certains employeurs, de la limite des 15 heures hebdomadaires autorisées. Mais ce sont les étudiants, déjà vulnérables, qui en subissent les conséquences les plus dures. « Nous ne pouvons plus rien faire pour vous, malheureusement », m’a-t-elle dit. Ces mots, prononcés avec sincérité, m’ont profondément atteint. Ils résument à eux seuls ce sentiment d’exclusion administrative, cette impression d’être toléré mais pas réellement accepté, figé dans un statut précaire et suspendu entre l’attente et le découragement.
Tout cela crée un climat d’incertitude permanente. Le moindre retard administratif, le moindre oubli, peut bloquer tout un parcours. Cette complexité administrative, couplée au coût de la vie très élevé (loyers, transport, alimentation), rend les premiers mois particulièrement éprouvants, émotionnellement comme financièrement.
Les difficultés d’adaptation et les blessures invisibles
Il faut aussi apprendre à survivre dans un nouveau système : déchiffrer les codes académiques, comprendre les usages administratifs, intégrer une culture universitaire parfois très éloignée de celle que l’on a connue. L’adaptation ne se fait pas en un jour. Elle demande de l’énergie, du temps et un équilibre émotionnel souvent mis à rude épreuve.
À cela s’ajoutent les décalages culturels : des silences qui ne veulent pas dire la même chose, des regards qui interrogent, une communication parfois froide ou distante, des règles implicites qu’il faut apprendre à lire. Et surtout, ce qui est rarement dit mais souvent ressenti : le poids du regard de l’autre. Être perçu d’abord comme « étudiant africain hors UE » avant d’être perçu comme un étudiant tout court. Être associé à des stéréotypes, même sans paroles blessantes. Cette forme de discrimination douce, presque insidieuse, blesse sans toujours se montrer.
Mais il y a plus profond encore : la souffrance silencieuse. Nous venons d’une culture où l’on apprend à se montrer fort, à endurer. Demander de l’aide, psychologique, émotionnelle, n’est pas un réflexe. On traverse la solitude, le découragement, les doutes, souvent sans les verbaliser. Et peu à peu, on s’enferme. Certains sombrent dans l’isolement, d’autres abandonnent. Quelques-uns envisagent même de quitter la Suisse pour tenter leur chance ailleurs, dans des pays perçus comme plus accessibles ou accueillants.
Cette souffrance est invisible, mais elle existe. Elle se loge dans les silences, dans les absences en cours, dans les regards fatigués. Elle mérite d’être entendue. Et pour cela, il faut que les structures d’accueil soient plus accessibles, plus informées, plus humaines. Il faut aussi que nous, étudiants, apprenions à dire que ça ne va pas, sans honte, sans peur. Parce que demander de l’aide, ce n’est pas un aveu de faiblesse, c’est un acte de résistance.
Une parole engagée, au nom de tous
Face à ces réalités dures et souvent tues, j’ai ressenti dès mon arrivée le besoin d’agir autrement que dans le silence. Le besoin de créer un espace commun, une voix partagée, une structure qui permette aux étudiants sénégalais dispersés sur le territoire suisse de se retrouver, d’échanger, de se soutenir mutuellement.
Constatant l’absence d’une structure officielle ou active représentant nos compatriotes étudiants, j’ai pris l’initiative, avec un petit groupe d’étudiants engagés, de créer l’Association des Etudiants Sénégalais en Suisse (ADESS), dont j’ai aujourd’hui l’honneur d’être le président. Cette démarche est née de la conviction que nous sommes plus forts collectivement, que notre parole a plus de portée lorsqu’elle est unie, que notre présence doit être visible, audible, intelligible. Notre objectif va bien au-delà du simple regroupement : il s’agit de bâtir un espace de dialogue, de co-construction, de solidarité, de résilience. Nous voulons créer des ponts entre les étudiants, mais aussi entre nous et les institutions, les autorités diplomatiques, les partenaires académiques et sociaux.
À l’occasion d’une conférence à l’Université de Genève, nous avons eu la chance de rencontrer le ministre sénégalais de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, le professeur Abdourahmane Diouf, qui a salué et encouragé notre initiative. Ce soutien moral et symbolique nous a confortés dans notre engagement. Car militer pour les droits des étudiants étrangers, pour une intégration digne, pour un traitement équitable, fait partie intégrante de mon parcours d’étudiant en droit et d’acteur engagé pour la justice et l’inclusion sociale. Je considère qu’il est de notre responsabilité collective de porter ces voix peu écoutées, de refuser l’invisibilisation, et de contribuer à un changement durable, ici comme ailleurs.
Sensibiliser pour mieux accompagner
Face à ces réalités dures et souvent tues, j’ai ressenti dès mon arrivée le besoin d’agir autrement que dans le silence. Le besoin de créer un espace commun, une voix partagée, une structure qui permette aux étudiants sénégalais dispersés sur le territoire suisse de se retrouver, d’échanger, de se soutenir mutuellement.
Constatant l’absence d’une structure officielle ou active représentant nos compatriotes étudiants, j’ai pris l’initiative, avec un petit groupe d’étudiants engagés, de créer l’Association des Etudiants Sénégalais en Suisse (ADESS), dont j’ai aujourd’hui l’honneur d’être le président. Cette démarche est née de la conviction que nous sommes plus forts collectivement, que notre parole a plus de portée lorsqu’elle est unie, que notre présence doit être visible, audible, intelligible. Notre objectif va bien au-delà du simple regroupement : il s’agit de bâtir un espace de dialogue, de co-construction, de solidarité, de résilience. Nous voulons créer des ponts entre les étudiants, mais aussi entre nous et les institutions, les autorités diplomatiques, les partenaires académiques et sociaux.
À l’occasion d’une conférence à l’Université de Genève, nous avons eu la chance de rencontrer le ministre sénégalais de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, le professeur Abdourahmane Diouf, qui a salué et encouragé notre initiative. Ce soutien moral et symbolique nous a confortés dans notre engagement. Car militer pour les droits des étudiants étrangers, pour une intégration digne, pour un traitement équitable, fait partie intégrante de mon parcours d’étudiant en droit et d’acteur engagé pour la justice et l’inclusion sociale. Je considère qu’il est de notre responsabilité collective de porter ces voix peu écoutées, de refuser l’invisibilisation, et de contribuer à un changement durable, ici comme ailleurs.
Appel à la responsabilité partagée
Ce témoignage n’a pas pour but de décourager, mais d’éclairer. De raconter ce que l’on vit, sans filtre, pour mieux préparer, pour mieux comprendre. C’est un appel à la responsabilité partagée :
• Aux jeunes africains : avant de partir, il faut s’informer en profondeur, anticiper les réalités, préparer non seulement son dossier académique, mais aussi ses ressources, ses appuis, sa santé mentale. L’aventure à l’étranger n’est pas un mythe, c’est un combat.
• Aux autorités suisses : vous avez entre vos mains des vies, des parcours, des familles. L’allègement de certaines contraintes, une meilleure coordination entre les acteurs institutionnels, et un accueil plus humain peuvent changer des destins.
• Aux institutions universitaires : les efforts faits en matière d’intégration sont réels, mais encore insuffisants. Renforcer les dispositifs d’accompagnement spécifiques, former les intervenants à la diversité des réalités étudiantes, c’est rendre votre communauté plus vivante, plus juste.
• Aux représentants diplomatiques africains : vos ressortissants vous regardent, vous espèrent. Être plus présents, défendre activement les droits des étudiants, créer des espaces de dialogue entre institutions, c’est remplir une mission essentielle de protection et de solidarité.
Entre dignité et résilience
Ce récit n’est pas unique. Il est le reflet d’une réalité partagée par des centaines d’étudiants africains en Suisse, faite d’espoirs ardents, de désillusions silencieuses, et de combats quotidiens. Il est né de la nécessité de dire ce qui souvent reste tu, de mettre des mots sur ce que beaucoup portent en silence.
Je n’ai pas écrit ce texte pour moi seul. J’ai voulu, à travers mon parcours, donner un visage à celles et ceux que l’on ne voit pas toujours, que l’on n’entend pas assez. J’ai voulu tendre une passerelle entre des mondes qui cohabitent mais qui parfois s’ignorent : celui des institutions et celui des vécus, celui des lois et celui des corps fatigués.
Nous ne demandons ni privilèges ni pitié. Nous demandons qu’on nous regarde autrement. Qu’on nous comprenne mieux. Et surtout, qu’on nous donne les moyens de contribuer pleinement à la société dans laquelle nous vivons, étudions, et espérons. Car derrière chaque étudiant africain en Suisse, il y a une promesse : celle de bâtir des ponts, pas des murs. Celle d’enrichir cette société par notre présence, notre savoir, notre humanité. Celle, enfin, de vivre dignement.
Par Alassane GANO, Spécialiste en droits humains et protection de l’enfant Expertise en plaidoyer et en communication stratégique – Genève- Suisse
