
Samedi 22 juillet 2023, au 5 rue de Vergne à Bordeaux-Lac, des acteurs de la Diaspora africaine organisaient une conférence sur le thème : « Réflexions sur le rôle de l’opposition politique en Afrique subsaharienne ». Le panel des intervenants était composé de : Alpha BARRY, Professeur des Universités, spécialiste en analyse du discours, Université de Bordeaux Montaigne, Alioune BADARA FALL, professeur des Universités, Agrégé de Droit Public, Université de Bordeaux, Dieynaba SAR, enseignante, femme politique sénégalaise, La modération était assurée par Mohamed LAM, juriste, Responsable Gestion de Litiges en Entreprise, essayiste mauritanien.
Alpha Barry : « Société civile, bonne gouvernance et pratiques discursives »
Le professeur Alpha Barry a mis en relief certaines notions fortes concernant la vie politique, comme la société civile, la bonne gouvernance et les pratiques discursives. Il a relevé aussi le rôle de nouveaux acteurs dans la vie politique et la grande diversité des situations politiques en Afrique.

La société civile, une histoire ancienne
Alpha Barry a défini puis expliqué l’historique de certaines notions permettant de mieux comprendre l’environnement politique des Etats de l’Afrique subsaharienne des années 2020. Il a insisté notamment sur le concept de société civile et de bonnegouvernance. Pour ce qui est de la société civile, il en retrace l’histoire, depuis l’Antiquité gréco-romaine, jusqu’à nos jours, en passant par Alexis de Tocqueville, grand penseur et politiste français du dix-neuvième siècle (1805-1859).
Alpha Barry définit la société civile comme une « communauté de citoyens organisés, oeuvrant pour la sécurité et le bien-être des citoyens, sur la base d’un contrat démocratique. »
Les jeunes des milieux urbains : nouveaux acteurs informels de la vie politique
Il a également mis en relief le contraste entre les partis d’opposition africains, généralement faibles, et le rôle très actif des mobilisations informelles des jeunes de milieu urbain, comme le mouvement très politisé et contestataire Y en a Marre (né au Sénégal en 2011). Dans le même ordre d’idées, on peut mentionner le mouvement du Balai citoyen né au Burkina Faso (2013-014). Alpha Barry y ajoute d’autres formes de mouvements plus conviviaux mais qui sont de véritables lieux de parole libérée, comme le Grin au Mali et le Fada au Niger. Souvent ces mouvements sont appuyés par des rappeurs, des journalistes, des chômeurs ou des étudiants. L’un des thèmes récurrents de ces groupes est la lutte contre la corruption. Ils se méfient de la capacité des oppositions des partis traditionnels à lutter efficacement contre la gangrène corruptrice. Ils ciblent aussi des problèmes de l’eau et de l’électricité.
En « zoomant » sur les problèmes de gouvernance en Afrique, Alpha Barry a souligné certaines pratiques d’utilisation de l’Etat comme d’un bien privé ou patrimoine personnel. C’est ce qu’il appelle la patrimonialisation de l’Etat.
Une Afrique plurielle
Parallèlement, dans le cadre des analyses politiques, Alpha Barry, qui est linguiste, s’intéresse aussi à l’étude des vocabulaires employés dans les milieux politiques et dans de nombreux groupes sociaux. C’est ce qu’il appelle « pratiques discursives ».
Par ailleurs il recommande de prendre en compte la diversité irréductible des pays africains. Effectivement un simple regard sur une carte politique africaine de 54 pays révèle une grande variété de régimes politiques : les cas de guerre civile (le Soudan), les régimes militaires (le cas de la Mauritanie, souligné par Mohamed Lam), les dynasties de présidents héréditaires (Gabon, Guinée-Equatoriale), les démocraties déstabilisées à influence Wagnérienne (Mali, Burkina Faso, Centrafrique), les autocrates qui jouent les prolongations (Denis Sassou-Nguesso au Congo-Brazzaville, Paul Biya au Cameroun), les démocraties à alternance normale (Le Ghana, le Nigéria), les démocraties à géométrie variable (la Guinée Conakry), les normalités démocratiques partiellement menacées (le Sénégal).
Alioune Badara Fall : « Prendre parti en Afrique »
Le Professeur Alioune Badara Fall a centré son intervention sur la problématique des partis en Afrique : origines historiques, caractéristiques et typologie.

Le Professeur Alioune Badara Fall a centré sa communication sur le système des partis en Afrique. Après les règnes des partis uniques postérieurs aux indépendances, la chute du Mur de Berlin (9 novembre 1989) marquant la fin de la Guerre Froide et annonçant la fin de l’Empire soviétique, préfigure aussi une ère de démocratisation en Afrique. La rupture se concrétise lors de la 16 ème Conférence des Chefs d’Etat d’Afrique et de France, à la Baule, en Loire Atlantique, notamment à travers le discours de François Mitterrand qui conditionne l’aide étrangère française à l’Afrique aux efforts concrets en matière de démocratie. Il s’agira de montrer des résultats visibles en matière de multipartisme, de droits humains et de pratiques électorales.
Alioune B. Fall distingue « les partis de masse » et « les partis de cadres ». Il retrace l’origine des partis politiques qu’il associe aux régimes coloniaux. Il signale quelques caractéristiques de la démocratie, dont il en retient trois : 1) le multipartisme ou pluralisme institutionnel, 2) la possibilité de conflits sociaux 3) la capacité de négociation.
Dieynaba SAR : « Travail, Ethique et Fraternité »
Dieynaba SAR, enseignante et femme politique sénégalaise a présenté le parti politique PASTEF, remarqué pour son sens éthique, sa critique de la corruption et pour la figure charismatique de son leader, Ousmane Sonko, partisan du renouvellement de la vie politique au Sénégal.

Si le PAS de PASTEF, est une abréviation de Patriotes du Sénégal, la deuxième moitié du sigle de ce parti politique sénégalais créé en janvier 2014, autrement dit le TEF de PASTEF, signifie Travail, Ethique et Fraternité. Le parti est dirigé par Ousmane Sonko, une figure novatrice de la vie politique sénégalaise, en prise à l’hostilité du président Macky Sall. L’arme juridique est utilisée pour neutraliser cette étoile montante du paysage politique du pays, connu pour ses critiques vigoureuses de la classe politique traditionnelle et pour son combat pour le renouveau des mœurs politiques. Ce parti est devenu la troisième force politique du pays, lors des élections présidentielles de 2019 au Sénégal. Dieynaba Sar, représentante de ce parti à Bordeaux, était présente à la conférence organisée à Bordeaux Lac. Kaddu Media Diaspora était attentif à son intervention présentant le parti.
D’une voix posée, rassurante et affable, Dieynaba Sar présente, avec un souci pédagogique, quelques mots clés pour mieux comprendre les grandes lignes et les grands combats de ce parti souvent décrit, par une certaine presse, comme un mouvement radical , sulfureux et subversif. Kaddu Diaspora en a retenu 7.
7 mots clés pour mieux comprendre le PASTEF
1-Changement de système
Ousmane Sonko et le Pastef, après de nombreuses analyses, ont conclu à un essoufflement de la vie politique sénégalaise et plaident, non pas pour un changement de gouvernement mais pour un changement de système politique. Selon Dieynaba Sar, le pays est dirigé par « une élite politique minoritaire qui se transmet de génération en génération. C’est la reproduction des mêmes groupes. »
2- Alternative et conscientisation
L’heure est donc venue pour une véritable alternative. « Il faut s’intéresser autrement à la politique » dit Dieynaba Sar et « conscientiser la population ». Même si Pastef participe à la compétition électorale et engrange des succès, ses combats ne se limitent pas aux gains de sièges législatifs, mais ils plaident pour des réflexions de fond sur les mécanismes de la vie politique.
3-La lutte contre la corruption
L’un des terrains de lutte privilégiés par le Pastef est bien la lutte contre le corruption. Celle-ci aurait une responsabilité écrasante dans les dysfonctionnements économiques du pays. Elle représente une véritable gangrène de la vie politique, elle freine le développement économique et alimente la survie de toute une classe de responsables politiques. Elle est l’une des cibles notoires d’Ousmane Sonko.
4-Fiscalité
Celui que le Courrier International de septembre 2016 surnommait « l’inspecteur Courage » a mené un véritable combat de justice fiscale. Il a notamment dénoncé un véritable système de fraude fiscale, dont bénéficie tout un réseau d’hommes politiques comprenant des députés, de ministres et d’autres hommes du pouvoir.
5- Indépendance de la Justice, injustices sociales et absence de l’Etat
Le Pastef prend aussi en compte des problématiques sociales comme le droit des femmes, la protection de la mère et de l’enfant, la santé de la population etc. Le parti d’Ousmane Sonko, dont le leader a beaucoup souffert de procès et de tracasseries juridiques diverses, plaide pour qu’il y ait une franche séparation entre le pouvoir exécutif, législatif et le judiciaire. Pour une véritable indépendance de la Justice, pour une gouvernance politique et économique.
6- Economie
Le Pastef se propose « de lutter contre le chômage de masse et plaide également pour une indépendance de la monnaie nationale » nous dit Dieynaba Sar qui est par ailleurs contre « le financement de l’économie par la dette extérieure. »
7-Le Panafricanisme
Ce n’est pas un hasard si le Pastef a adhéré à une coalition de partis politiques appelée la Coalition Alternative du Peuple en 2017. Dans cette coalition on retrouve un parti panafricaniste, le RND (Rassemblement National Démocratique) créé dans la clandestinité par Cheikh Anta Diop en 1976 et reconnu en 1981. Le Pastef œuvre aussi pour une prise de distance avec l’Occident.
Rafael Lucas, Kaddu Diaspora Média
