Du 27 septembre au 26 octobre, l’exposition « Partir » traitant de l’immigration aura lieu au Restaurant La Terre, chez Ali, au 18, rue Saint James. Elle sera visible tous les jours à partir de 17 H.

Le peintre dans l’oasis
Jeudi 26 septembre 2024, La nuit est plutôt froide et humide, dans la rue Saint-James dans le Vieux Bordeaux. Pourtant une oasis chaleureuse de convivialité nous attend au numéro 18, au Restaurant La Terre, chez Ali.
À l’intérieur le rouge du bissap ouest-africain côtoie celui du vin de Bordeaux et une guitare voisine et une guitare avec une kora ouest-africaine. Sur les murs s’étendent les tableaux du sociologue-peintre sénégalais Mar Fall. Ils composent le troisième volet d’une exposition intitulée « Partir », traitant de l’immigration africaine. Ils illustrent une démarche présentée initialement en 2022 à Bordeaux, au bar associatif Les Amis du Sahel (4, rue du Pilet).

Cette troisième édition poursuit, en l’approfondissant, l’aventure picturale de Mar Fall consacrée au thème du départ. Ce thème est exploré sous différents aspects : le voyage, la migration, l’exil, la vie en terre étrangère, l’expérience de l’étrangeté. Loin des clichés misérabilistes ou doloristes, la peinture de Mar Fall présente l’immigration comme une véritable odyssée aventureuse nourrie par l’espoir. Ainsi l’imaginaire de la plage et du bleu est revisité par le peintre sociologue. Lieu symbolisant habituellement le plaisir et l’évasion, la plage est ici un théâtre à ciel ouvert de départs et d’arrivées de migrants en route vers l’inconnu.
Entretien avec Mar Fall
Moussa Diop et Rafael Lucas de Kaddu Diaspora Media ont rencontré le peintre sociologue.
Rafael Lucas de Kaddu : On remarque d’entrée la présence de trois personnages disposés en triangle, dans tous les tableaux de cette expo…
Mar Fall : Oui, ce triangle est un clin d’œil à des organisations panafricaines anglophones qui avaient tendance à se distinguer de l’Afrique Francophone. Elles regroupaient, outre l’Afrique Anglophone, des Noirs américains et ceux de la Grande-Bretagne.
R. L. : On est frappé par l’importance que prend la solitude dans ces tableaux. Est-ce un choix délibéré ?
Mar Fall : En effet, même si les migrations africaines sont souvent des aventures collectives entraînant des réponses communautaires ou organisationnelles dans les pays d’accueil, la solitude demeure, à toutes les étapes du parcours de l’individu.
R. L. : Quelle est la signification de la plage dans ces parcours migratoires ?
Mar Fall : Espace de loisir en tout genre, la plage est un loisir de masse aussi, dans les pays d’accueil des migrants. Par ailleurs, la plage est souvent le lieu du départ vers l’inconnu, dans l’itinéraire migratoire. Elle est également le lieu de l’arrivée dans l’inconnu, dans le pays d’accueil. Elle reste bien sûr un lieu d’évasion mais l’évasion n’a pas le même sens pour les vacanciers du pays d’accueil et pour certains migrants.
RL : À propos de la migration, pourrait-on parler d’aventure ambiguë, pour reprendre le titre d’un célèbre roman sénégalais ?
Mar Fall : Dans l’Aventure ambiguë, le personnage principal est tout le temps tiraillé, partagé. Ici, il n’y a pas d’ambiguïté. Les migrants ont choisi délibérément de partir. Parfois ils se sont endettés pour cela. Leurs voyages sont toujours remplis de difficultés en tout genre. Ces personnes qui partent, c’est parce qu’ils ont un rêve. Ils pensent vivre mieux que dans leur pays d’origine. Ils prennent des risques donc. Mais c’est en même temps un voyage plein d’espoir. Ensuite tout va se jouer selon leur capacité à tisser des liens en tout genre, selon leur sens de la transaction.
RL : Dans tes expos précédentes, notamment aux Amis du Sahel, on voyait davantage de groupes de migrants, c’était une aventure plus collective. Cette fois-ci on voit davantage de personnages seuls, en particulier ce trio de personnes solitaires. Est-ce que l’immigration a changé de nature ?
Mar Fall : C’est sûr. Elle change tout le temps de nature, dans la composition sociale des migrants, dans leur choix de vie et selon les changements politiques dans les pays d’accueil. Les premiers migrants se privaient de tout pour économiser un maximum. Ils ne venaient pas dans l’esprit de s’installer définitivement. En 1974 le gouvernement de Jacques Chirac, dont le Premier Ministre était Valéry Giscard d’Estaing, met fin à l’immigration pour motif économique et autorise le Regroupement Familial en y mettant plusieurs conditions. À partir de ce moment beaucoup d’immigrants qui pensaient repartir s’installent de façon durable. Ce basculement va provoquer de nombreux changements dans les choix de vie des immigrés.
RL : Il n’y a pas que de la sociologie chez le peintre sociologue. Il y a beaucoup de bleu dans cette expo.
Mar Fall : Il y a aussi de grands flous blancs en arrière-plan. Cela peut être tous ceux qui sont morts dans les traversées. C’est probablement leurs âmes qui accompagnent les migrants. Il y a bien sûr le bleu, plusieurs bleus. L’immensité du bleu qui a autour des bateaux qui les amène. Les bleus de la mer, de l’horizon et du ciel. Le bleu de leurs rêves aussi. Peintre-sociologue, oui. La sociologie alimente ma peinture. Elle me fait voir les mouvements, les dynamiques, l’aventure constructive. Ce n’est pas un bleu d’évasion de la réalité.
RL : Au nom de Kaddu Diaspora Média, et de ceux qui nous suivent, je te remercie beaucoup, notamment pour ta façon constructive et productive de contribuer à nourrir la présence africaine à Bordeaux.
Mar Fall : Merci également à Kaddu Diaspora Média.
Auteurs : Rafael Lucas – Moussa Diop
