« Il faut couper le mal à la racine » tel est le nom du film du cinéaste Dragoss Ouedraogo, projeté en avant-première, le 5 novembre 2024, au Rocher de Palmer, à Cenon en Gironde. Plus de 300 personnes ont vu ce documentaire qui traite du problème brûlant des violences intrafamiliales que subissent en particulier les femmes et les enfants.

Rafael Lucas, Kaddu Diaspora Média (KDMédia) : Le 25 octobre 2024, la Table Ronde, Paroles de Femmes en Migrations, organisée au Musée d’Aquitaine, mettait en évidence des témoignages bouleversants sur les violences conjugales subies par les femmes issues de l’immigration. Votre film « Il faut couper le mal à la racine » se passe en Gironde et dévoile beaucoup de situations semblables. Quelles réflexions vous inspire ce parallèle ?
Dragoss Ouedraogo. La problématique des violences faites aux femmes touche les femmes de toutes origines et conditions sociales, qu’elles soient issues de l’immigration ou non. C’est un élément de la domination et de l’oppression des femmes, à l’échelle planétaire. Celles qui sont issues de l’immigration peuvent avoir la pression supplémentaire de se retrouver en situation irrégulière de « sans papiers ».
Rafael Lucas KDMédia. Dans la terrible histoire de Barbe Bleue, le mari qui assassinait ses femmes, la dernière épouse a survécu grâce à l’intervention de sa famille. À travers les témoignages émouvants de ces femmes, on s’aperçoit que leur famille intervient très peu. Est-ce que le fait de vivre dans une société plus individualiste accentue l’isolement des femmes ?
Dragoss Ouedraogo. Dans le film, certaines femmes ont souligné le soutien de leurs parents, frères et sœurs, dans leur témoignage, surtout pour organiser leur départ. D’autres femmes n’ont pas pu bénéficier du soutien de leur famille résidant dans une autre région fort éloignée. Les femmes ont bien décrit par ailleurs les stratégies déployées par leur conjoint violent, afin de les isoler de leurs familles et ami(e)s. On ne peut donc pas généraliser et penser que les familles n’interviennent pas, parce qu’on est dans une société individualiste. Des voisins peuvent penser que tout va bien dans la vie du couple, alors que c’est l’enfer pour la femme qui elle même éprouve de la honte à dire ses souffrances.
Dans les structures sociales communautaires, le soutien de la famille à la femme victime de violence n’est pas évident non plus. Les pesanteurs socioculturelles marquées par les conceptions féodales et rétrogrades peuvent influer l’attitude de la famille. Celle-ci va demander à leur fille de se soumettre à son mari, car le divorce peut être perçu comme un déshonneur pour la famille. On ne peut pas généraliser non plus. Nous avons une forme de domination très complexe de la femme, que l’on retrouve dans toutes les sociétés.
R. Lucas KDMédia. Les réponses obtenues par notre Webmagazine Kaddu Diaspora Média montrent clairement un mécontentement vis-à-vis des institutions judiciaires et policières. Cela vous semble-t-il exagéré ou compréhensible ?
Dragoss Ouedraogo. Les témoignages des femmes sur le dysfonctionnement des institutions judiciaires et policières reflètent les dures réalités qu’elles vivent au quotidien. Elles sont choquées par les plaintes classées sans suite et par la faiblesse des mesures de protection des femmes victimes de violences. De nombreuses études soulignent le retard de la France dans ces domaines, notamment en ce qui concerne la condamnation des violences faites aux femmes. Il y a eu néanmoins quelques timides avancées dans les formations mises en place pour sensibiliser les agents de police, les gendarmes et les magistrats.
R. Lucas KDMédia. Parmi les témoignages glaçants présentés devant la caméra, on a entendu un mari dire en réunion de famille, à propos de sa femme : « Ou je la baise, ou je la détruis ». Cela veut-il dire qu’il y a un énorme climat d’impunité dans les cas de violences masculines. À ce propos, connaît-on le pourcentage de maris violents qui ont été condamnés ?
Dragoss Ouedraogo. Je n’ai pas connaissance de statistiques sur le pourcentage de maris violents condamnés.
R. Lucas KDMédia. Est-ce qu’on a une idée relativement précise de ce qui arrive en général aux enfants dans ces situations d’enfer familial ?
Dragoss Ouedraogo. Dans le film les femmes expliquent bien les violences qui touchent aussi les enfants. Violences physiques et psychologiques, violences sexuelles, sans compter les cas d’incestes.
R. Lucas. Dans la réalisation du film, vous avez porté une grande attention à la construction des récits des femmes, sous forme de chapitres ou de parties. Quelles ont été vos intentions en faisant ce choix ?
Dragoss Ouedraogo. Le film est organisé en 4 chapitres, afin de montrer de façon pédagogique le processus des violences et leurs manifestations mais aussi les tentatives des femmes pour partir et s’en sortir. Le visionnage de ce film, selon l’usage en cours dans les associations, peut être organisé à partir d’un chapitre particulier, comme support de discussions. Le chapitre 2 par exemple, à propos de violences, est basé sur le témoignage des femmes.
R. Lucas. L’auditorium était plein, on a même dû refuser du monde. Qu’est-ce que cela inspire à l’équipe organisatrice de cet événement ?
Dragoss Ouedraogo. La présence massive des publics à cette soirée avant-première de projection du film est un bon signe. Ce thème des violences conjugales devient une préoccupation sociale. C’est aussi un sujet brûlant d’actualité. Notre objectif, modestement, est de contribuer à une plus grande sensibilisation vis-à-vis de ce fléau social, afin de susciter une prise de conscience, pour une solidarité active avec ces femmes victimes de violences intrafamiliales.
R. Lucas. On remarque le rôle énorme des associations, avec l’aide des collectivités locales, telles que le Département de Gironde. Que vous inspire cette synergie ?
Dragoss Ouedraogo. Les associations de lutte contre les violences faites aux femmes jouent un rôle capital d’éducation, d’information citoyenne et surtout d’accompagnement des femmes victimes de violences, afin de garantir la défense de leurs droits et d’accompagner leur reconstruction sur tous les plans.
Malgré l’appui des collectivités territoriales, ces associations disposent de faibles moyens pour étendre leurs activités, étant donné l’aggravation de ces problèmes dans nos sociétés en crise et en convulsion.
Les restrictions budgétaires frappent en premier lieu les financements et subventions aux associations. Des services de planning familial par exemple ont fermé dans de nombreuses régions en France.
D’un côté on tient un discours larmoyant, quand se produisent des féminicides mais de l’autre on réduit, voire on supprime les moyens financiers accordés aux structures de sensibilisation et de lutte contre ces violences intrafamiliales.
Auteur : Rafael LUCAS
